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Culture populaire | Bonnes feuilles : La dépression est une maladie, pas un choix

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À l’occasion de la Journée européenne de la dépression, The Conversation publie les bonnes feuilles du livre « Pop & psy : comment la pop culture nous aide à comprendre les troubles psychiques », par Jean‑Victor Blanc, aux éditions Plon.


Melancholia, la fin du monde comme un soulagement

Sorti en 2011, le film de Lars von Trier est centré sur le personnage de Justine (incarné par Kirsten Dunst, prix d’interprétation féminine au Festival de Cannes). Il débute le jour du fastueux mariage de celle-ci. Dans cette débauche de luxe, au milieu de ces obligations sociales et festives, Justine/Kirsten se sent en décalage complet. Cette incapacité à jouer le rôle socialement attendu – celui de la mariée heureuse et célébrée par tous –, en raison d’une souffrance invisible et pourtant spectaculaire, est typique du détachement, de l’impuissance liée à la dépression.

Un peu plus tard, on retrouve l’héroïne très ralentie, dans un état qu’on pourrait qualifier d’anesthésie affective. Les sollicitations bienveillantes, mais improductives, de son entourage, personnalisé par sa sœur Claire (Charlotte Gainsbourg), semblent bien stériles face à la profondeur de son désespoir. C’est alors que s’annonce la fin du monde imminente, sous la forme d’un astéroïde, Melancholia, prêt à pulvériser la Terre. À rebours des réactions attendues (incrédulité, terreur, tristesse), Justine vit cette angoissante perspective comme un soulagement.

L’indifférence au monde, les pensées morbides (menace d’un cataclysme) et l’état stuporeux de Justine illustrent bien les pensées qui accompagnent généralement la dépression dans sa forme sévère appelée mélancolie.

[…]

Le triptyque de la dépression

« Même si tu ne parviens qu’à sortir du lit, à te laver les dents et à prendre une douche… FAIS-LE. Pour les personnes atteintes de dépression, c’est déjà un pas ÉNORME. » (Michelle Williams, 2018)

Si Michelle des Destiny’s Child décrit très bien la torpeur dans laquelle la dépression plonge un individu, le DSM-5 en fournit une définition plus médicale. Au-delà de la simple tristesse, la dépression se manifeste par trois types de symptômes, présents depuis au moins deux semaines :

  • L’humeur triste (et autres émotions associées) : il s’agit là d’une tristesse profonde, permanente, qui ne s’apaise pas avec un événement plaisant ou une bonne nouvelle. Y sont souvent associées d’autres émotions négatives comme l’anxiété, l’irritabilité, la culpabilité et la mésestime de soi. Il y a une perte des envies et du plaisir ressenti face aux choses habituellement plaisantes.
  • Les symptômes psychomoteurs : il s’agit d’un ralentissement global du fonctionnement des pensées (troubles de la mémoire, de l’attention, de la concentration), mais aussi un ralentissement physique, tant dans le discours (moins fluide, temps de réponse augmenté, ton monocorde) que dans la gestuelle, entravée. Le visage, par exemple, est moins expressif. Parfois, le patient atteint de dépression ne supporte plus qu’une chose : être dans son lit, à longueur de journée, sans dormir (ce qui s’appelle la clinophilie).
  • Les signes physiques associés : les troubles du sommeil, souvent à type d’insomnie avec réveil précoce, sont très fréquents. Une perte de l’appétit avec amaigrissement involontaire, une fatigue qui ne s’améliore pas avec le repos, une constipation ou des règles irrégulières font partie des autres manifestations classiques de la maladie.

Dans certains cas, qu’on appelle alors dépression atypique, il y a une augmentation de l’appétit, avec notamment une appétence pour la « comfort food » (aliments sucrés, en général riches en glucides et lipides, à texture douce ou croustillante…), avec une prise de poids, ainsi qu’une augmentation du temps de sommeil (hypersomnie), qui reste non récupérateur. Ces dépressions sont aussi caractérisées par des douleurs musculaires et une hypersensibilité relationnelle. Ce type de dépression est plus fréquent chez les femmes et chez les patients atteints de trouble bipolaire. Il est parfois moins bien pris en charge, car moins identifié et mal connu.

Ce regroupement de symptômes est très important pour poser le diagnostic de dépression. L’humeur triste est souvent vue comme le symptôme phare de la dépression, au point de parfois éclipser les autres, telle Beyoncé dans un clip des Destiny’s Child. Or ce serait bien dommage de laisser les autres membres du groupe de côté. Les symptômes physiques, par exemple, sont moins identifiés comme des signes de dépression, au point d’être oubliés, comme pourrait l’être Michelle Williams dans les fameuses girls band. Pourtant, ils sont très importants, car objectivables et quantifiables.

À la différence de l’abattement, qu’on pourra relativiser par exemple s’il est survenu face à un événement de vie négatif, des kilos en moins ou en plus, ou des heures de sommeil en moins sont plus tangibles quant à l’existence d’une maladie. Pour des patients qui ont du mal à voir dans leur désespoir un symptôme, mais aussi pour l’entourage, il est important de le savoir : quelqu’un qui passe ses journées au lit à ruminer des idées négatives et en ne dormant que quelques heures ne « s’écoute » pas, il est tout simplement malade. Mais le « brouillard » (pessimisme, doutes, problèmes cognitifs, sentiment de culpabilité) dans lequel se sentent englués les patients rend plus difficiles leurs éventuels appels à l’aide.

Il est difficile de faire des recommandations « standard » à l’entourage sur l’attitude à adopter vis-à-vis d’un proche atteint de dépression. Certaines fausses bonnes idées sont néanmoins particulièrement difficiles à entendre pour les patients. Voici quelques do et don’t :

Do :

  • Prendre conscience que la dépression est une maladie, et pas un choix (si vous n’en êtes pas encore persuadé, reprenez ce chapitre depuis le début).
  • Être dans une écoute empathique (cela aide, c’est le premier outil que les professionnels utilisent. Pour le tuto, voir les interviews d’Oprah Winfrey).
  • Conseiller de consulter en dédramatisant (si Beyoncé et Jay-Z ont vu un thérapeute de couple, où est le mal).

Don’t :

  • Juger une personne en souffrance dépressive : c’est une maladie, qui peut perturber de manière impressionnante, mais transitoire le caractère d’un individu (qui jugerait le style de Kim Kardashian sur les photos de l’époque où elle était l’assistante de Paris Hilton ?).
  • Donner des injonctions (le fameux « secoue-toi », ou, « moi, quand ça ne va pas, je prends un bain chaud et ça va mieux »). FYI (For Your Information), les patients déprimés ont en général essayé plein de choses pour aller mieux et sont déjà bien assez culpabilisés.
  • Banaliser la dépression (dire que c’est une mode n’a jamais aidé personne, on attend toujours qu’elle fasse la couverture de Vogue).

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Déprimer tue (et plus que le tabac)

Breaking news : la dépression diminue l’espérance de vie. Une étude australienne l’a mis en évidence : c’est 12 à 15 ans de vie en moins en moyenne pour les patients atteints de dépression. C’est beaucoup trop, notamment lorsqu’on compare avec le tabac, qui réduit l’espérance de vie de 10 ans. Contrairement aux idées reçues, 80 % à 90 % de ces décès prématurés sont d’origine organique, et non par suicide.

Cette surmortalité s’explique notamment par davantage de maladies cardiovasculaires (comme l’infarctus du myocarde) et de cancers. En effet, les patients atteints de dépression ont souvent une moins bonne hygiène de vie (notamment plus de consommation de tabac et d’alcool), une moindre capacité à prendre soin de soi et de sa santé (moins d’activité sportive, alimentation déséquilibrée, moins de suivi médical et donc une découverte tardive d’autres maladies…). En outre, comme tout patient présentant des troubles psychiques, ils sont injustement moins bien soignés lorsqu’ils ont une maladie organique.

La dépression, comme dans le film Melancholia, ça peut mal finir, notamment à cause du risque suicidaire. Les études montrent que 50 % à 80 % des personnes suicidées souffraient de dépression. Le désespoir ressenti par le patient peut être très profond, et associé à un sentiment de culpabilité, voire à l’impression d’être un poids pour l’entourage. La souffrance est alors telle que la mort est envisagée dans un but de « soulager » : soi et les autres. Ces distorsions cognitives, ou pensées irrationnelles sont donc bien éloignées d’un geste suicidaire qui serait perçu comme « égoïste »

[…]

Guérir, oui, je le veux !

La dépression est trop rarement prise au sérieux, parfois même chez les soignants. L’étude nationale « santé mentale en population générale : images et réalités » s’est intéressée à sa représentation dans la société. Les résultats montrent que la personne déprimée est vue comme quelqu’un de faible, manquant de volonté, et pas comme un individu temporairement affecté dans ses capacités par une maladie. De cette perception erronée viennent le « secoue-toi » envoyés par l’entourage, véritables « Voldemort » pour les patients en souffrance. C’est même l’une des choses les plus pénibles à entendre, rapportent-ils dans les groupes de psychoéducation.

Moins la dépression est assimilée à une maladie du cerveau, plus le malade est rendu responsable de ce qui lui arrive. Cette stigmatisation repose sur l’idée que les personnes sont responsables de leurs idées noires, qu’elles sont dangereuses et qu’il faut éviter d’être en contact avec elles. Ces attitudes sont liées à moins d’empathie et à moins de possibilités d’accès aux soins pour les patients.

La dépression est une maladie multifactorielle, c’est-à- dire ayant des origines multiples : environnementale, neurobiologique, génétique, familiale, développementale… Si, pour les premiers épisodes dépressifs, on retrouve souvent un événement de vie stressant, comme une rupture ou un deuil, ce n’est pas toujours le cas. Cela devient même plutôt rare lorsqu’il y a plusieurs épisodes successifs. La vision de la dépression est fréquemment simpliste dans les films traitant le sujet.

La séquence « facteur déclenchant négatif-tristesse heureux événement qui résout tout » est le reflet de cette conception schématique. Mange prie aime (2010), adaptation du livre éponyme, avec Julia Roberts dans le rôle principal, en est un exemple. La protagoniste traverse une phase dépressive lors de son divorce, suit alors un traitement par antidépresseurs, puis, « décide » de se guérir en faisant un beau voyage avec rencontre amoureuse à la clé – en l’occurrence Javier Bardem.

Il n’est pas question de nier l’importance de l’environnement dans les épisodes dépressifs. Cependant, faire reposer sur les épaules du patient déprimé le fait qu’il doive aller mieux en puisant dans ses ressources internes est assez injuste. Comme il n’est pas raisonnable de le laisser attendre qu’un éventuel événement heureux le guérisse de manière spontanée.

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De la « fatigue d’être sexy » à la « fatigue d’être soi »

Le concept de se sentir « fatiguée d’être sexy » est attribuée à Beyoncé, selon une déclaration faite dans les années 2000. Il eut en tout cas un retentissement international… jusqu’à inspirer le nom d’un groupe de rock féminin brésilien : Cansei de Ser Sexy.

Cette idée de fatigue d’être ce que l’on est – ou ce que la société nous somme d’être – est le propos central du livre du sociologue Alain Ehrenberg La Fatigue d’être soi (Odile Jacob, 1998). Celui-ci part du constat que le nombre de patients dépressifs va en augmentant, et que l’exposition médiatique ou culturelle de cette maladie en est le reflet. Il qualifie même, avec une pointe de provocation, la dépression de « succès » dans notre société.

Et développe sa thèse, qui est la suivante : dans les siècles passés, la religion, la prédétermination sociale et géographique liée à la naissance ou l’esprit de corps professionnel imposaient de fortes contraintes sociales à l’individu. Le poids des origines familiales (on exerçait très souvent la même profession que ses parents, on vivait au même endroit, avec le même style de vie) et du religieux (qui dictait conduite morale et mœurs) était majeur. D’où une trajectoire d’existence très linéaire, avec un déterminisme laissant peu de place à la responsabilité de l’individu dans son destin. Dans la société contemporaine, au contraire, ces contraintes sont devenues moindres et nous paraissent intolérables. L’individualisme a pris toute la place. La « réalisation de soi » est érigée en idéal, et l’infinité des destins possibles échoit à l’individu.

Ces idées sont abondamment relayées dans la pop culture, du mythe du self-made-man à la Arnold Schwarzenegger au conte de fées moderne A Star Is Born (2018). L’injonction à « devenir quelqu’un » irrigue nombre d’œuvres, au point de devenir le mantra des participants aux émissions de télé-réalité. La contrepartie de cela : les individus n’arrivant pas à se hisser au niveau de leurs rêves ou des diktats de l’époque (des millions de followers, un biopic sur Netflix, les diamants de Kim Kardashian) risquent de souffrir d’une grande frustration.

La dépression, pathologie dont les symptômes cardinaux sont le manque d’envie, de plaisir et un repli sur soi, s’inscrit donc précisément en porte-à-faux de ces valeurs prônées socialement. « défaut de projet, défaut de motivation, défaut de communication, le déprimé est l’envers exact de nos normes de socialisation [valorisées socialement]. »

Cette approche sociologique, qui n’exclut pas la réalité médicale des troubles dépressifs, est très pertinente. Cette idée est d’ailleurs fréquemment retrouvée dans le discours des patients qui ne se « ne sentent pas à la hauteur ». Et sur les réseaux sociaux, incroyable caisse de résonance à cette thématique.

Christian C., la dépression en col blanc

M. Christian C. est un élégant quinquagénaire, avocat d’affaires dans une banlieue parisienne cossue, marié et père de trois jeunes adultes. Lorsque je le reçois pour la première fois en consultation, il est extrêmement agité. C’est son deuxième épisode dépressif. La phrase « Je n’y arriverai plus jamais » revient en boucle.

Après une première dépression, soignée par un confrère, il avait arrêté son traitement au bout de six mois de rémission, en accord avec les recommandations. Quelques mois plus tard, des symptômes de dépression et d’anxiété, souvent associés, ont recommencé à bas bruit. Adepte de la méthode Coué, il s’est dit que cela « allait passer ». Il a repris rendez-vous plusieurs semaines plus tard, dans un état de dépression sévère. M. C. allait ainsi tous les jours à son cabinet, s’efforçait, sans aucun succès, de faire son travail comme avant. Son état ne lui permettait pas d’affronter ses multiples responsabilités. Il revenait donc chez lui, se considérait comme « bon à rien ». Sa famille, notamment ses enfants, manifestement désarçonnées de voir leur père dans un tel état, montrait peu d’empathie à son égard. Il avait toujours été « l’homme alpha », menant sa carrière et sa maison d’une main de maître, pas vraiment du genre à se poser des questions ni à s’apitoyer sur son sort. Son exigence vis-à-vis de lui-même lui rendait la vie impossible.

M. C. est alors rapidement admis dans notre service afin de réintroduire un traitement antidépresseur, mais aussi l’extraire de son environnement. Plusieurs antidépresseurs sont tentés, sans succès. Pis, son état s’aggrave. Comme c’est souvent le cas dans les dépressions mélancoliques, ses pensées deviennent alors de plus en plus sombres et éloignées de la réalité. Au point qu’il pense ne plus pouvoir jamais plaider : « Vous ne comprenez pas, docteur, la législation évolue si vite, je ne pourrai plus m’adapter. » Inquiet quant à ses capacités cognitives, il s’escrime à apprendre l’italien dans un livre pour enfants trouvés à la médiathèque de l’hôpital. Dans son état, il ne retient rien de plus que « ciao », majorant ses angoisses. Il pense que je finirai par me lasser des essais thérapeutiques infructueux et qu’on l’enverra alors en maison de retraite (à 55 ans), ou qu’il se retrouvera à la rue. C’est à ce moment-là qu’il accepte enfin le traitement par électroconvulsivothérapie).

Après une quinzaine de séances de sismothérapie, M. C. revient complètement à lui. Le traitement est prolongé par un traitement antidépresseur assorti d’une psychothérapie. Il a depuis repris son travail, dans lequel il excelle, et arrive même à prendre davantage soin de lui. Il ne se surmène plus dans son activité professionnelle et a recommencé les marathons. Le traitement médicamenteux est désormais arrêté, reste un suivi médical et un soutien psychologique. Ce type de parcours de patient, à la fois impressionnant et banal, illustre bien ce phénomène transitoire qu’est la dépression. Aussi accessible au traitement que capable de perturber totalement les pensées d’un être humain.


Pour en savoir plus :
– Cycle de conférences au MK2 Beaubourg à Paris, « la dépression : je t’aime Melancholia », le 16 novembre.
– Blanc J.-V. (2019) « POP & PSY – comment la Pop culture nous aide à comprendre les troubles psychiques », éditions PLON.

The Conversation

Jean-Victor Blanc est l’auteur de l’ouvrage « Pop & Psy – comment la Pop culture nous aide à comprendre les troubles psychiques ».

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Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons.
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