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Culture populaire | « Reine d’Égypte », ou les pharaons version manga

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Dans cette saga, Chie Inudoh revisite le destin de la pharaonne Hatchespsout. Editions Ki-oon

Les mangas « historiques » sont en vogue depuis quelques années, tandis que l’Égypte ancienne fascine un large public depuis bien plus longtemps encore. Pas étonnant donc que la série Reine d’Égypte de la mangaka Chie Inudoh connaisse un grand succès. La traduction française du tome 5 vient de sortir, en février 2019, aux éditions Ki-oon. Mais, dans quelle mesure, peut-on parler de manga « historique » ?

Statue de la reine Hatchepsout coiffée du némès, Metropolitan Museum, New York.
New York Metropolitan Museum

Hatchepsout, une des plus anciennes reines de l’Histoire

Au départ, l’auteure n’a pas vraiment choisi la facilité : elle aurait pu jeter son dévolu sur Cléopâtre ou Néfertiti, ces reines si célèbres depuis qu’elles ont été incarnées par les plus grandes stars : Elizabeth Taylor et Monica Bellucci pour la première, la top model Iman ou encore Rihanna pour la seconde.

Non, Chie Inudoh a préféré Hatchepsout au nom exotique et même un peu difficile à prononcer.

Une originalité qui aura été payante car, si Hatchepsout n’est peut-être pas « la première grande souveraine de l’histoire de l’humanité », comme on peut le lire sur le site des éditions Ki-oon, elle est bien la première femme de pouvoir qui ait laissé de remarquables témoignages de son règne : le temple funéraire de Deir el-Bahari, des obélisques monumentaux et d’extraordinaires statues, comme celles qui sont aujourd’hui exposées au Metropolitan Museum à New York.

À toutes ces œuvres s’ajoute encore la momie de la reine, identifiée en 2007, qui nous apprend qu’elle était âgée d’environ 50 ans à sa mort.




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Fille du pharaon Thoutmosis Ier, Hatchepsout régna au XVe siècle av. J.-C. avec son demi-frère et époux Thoutmosis II, l’inceste étant alors banal dans la famille royale. Lorsque Thoutmosis II mourut, Hatchepsout devint la régente de Thoutmosis III, le fils que son défunt mari, polygame, avait eu d’une épouse secondaire. Comme le nouveau monarque n’était qu’un enfant, c’était Hatchepsout qui dirigeait l’Égypte dans les faits. Après quelques années de règne, elle finit par prendre le titre de roi à l’issue d’une cérémonie de couronnement incluant des rites qui ne se pratiquaient normalement que pour des hommes. Il y avait dès lors officiellement deux souverains à la tête du royaume : l’enfant-pharaon et la reine-pharaon.

Dans l’art, Hatchepsout se fit parfois représenter comme un homme, revêtu des insignes masculins du pouvoir : la coiffe rayée appelée némès, la fausse barbe et le pagne court. Mais des années après sa mort, certaines de ces images seront volontairement brisées, tandis que le nom de la femme-pharaon, inscrit sur les monuments, sera effacé. Bien que la raison précise de ces destructions soit encore discutée, on peut y voir la preuve que le règne de la reine-pharaon n’avait pas fait l’unanimité en Égypte.

La « reine aux attributs masculins »

C’est précisément cette ambivalence qui a suscité l’intérêt de Chie Inudoh pour le personnage de Hatchepsout. Le titre japonais l’exprime clairement : « Histoire de la Reine aux attributs masculins ».

On remarque, cependant, que ce thème, porteur au Japon, n’est pas mis en avant par l’édition parue en France, où il a sans doute été jugé moins adapté aux attentes du public.

Chie Inudoh s’est inspirée de l’histoire de la souveraine, ou du moins de ce qu’on croit en connaître, car bien des zones d’ombre demeurent.

Mais ces lacunes ne lui ont guère posé de problème, comme elle en convient avec beaucoup de franchise et de modestie lors de ses interviews : elle a lu des ouvrages d’égyptologues, a examiné les collections pharaoniques du British Museum, mais n’a jamais eu l’intention de produire une reconstitution exacte de la réalité historique.

Lorsque plusieurs thèses s’affrontent au sujet de la pharaonne, elle choisit la meilleure du point de vue narratif ; et quand une information manque, elle va la chercher sans scrupule à une autre époque, voire dans d’autres civilisations. Elle avoue même sa fascination pour le personnage de Daenerys Targaryen dans Game of Thrones, figure fantasmée de la femme puissante.

Reine d’Égypte, couverture du tome 1, éditions Ki-oon, 2017.

« Faire pop »

Chie Inudoh avoue aussi sans détour son intention de « faire pop » ; c’est-à-dire de permettre au lecteur d’entrer facilement dans l’histoire. Le manga « historique » s’inscrit ainsi dans le développement plus général que connaît aujourd’hui le divertissement basé sur l’histoire, un phénomène parfois nommé « histotainment ».

La démarche de la mangaka n’est donc pas prioritairement égyptologique, mais d’abord littéraire et artistique, voire commerciale. Elle quantifie elle-même les deux composantes de son œuvre : 20 % de réalité pour 80 % de fiction. Cela a le mérite d’être honnête : on ne l’accusera pas de surestimer la part historique.

Des questions très actuelles

Pour « faire pop », l’auteure nous présente Hatchepsout comme l’une des premières féministes de l’Histoire ; ce qui, en dépit des zones d’ombre qui demeurent sur la pharaonne, a toutes les chances d’être un pur anachronisme.

La véritable Hatchepsout n’a, de toute évidence, jamais entendu défendre les droits des femmes égyptiennes. En se donnant une image parfois virile, selon les représentations du moment, elle pensait surtout renforcer son pouvoir personnel et, par la même occasion, affirmer la puissance de son royaume, alors que son corégent Thoutmosis III n’était encore qu’un jeune garçon.

Chie Inudoh attribue à son héroïne une psychologie très contemporaine. Au début de l’histoire, Hatchepsout est une adolescente révoltée par les traditions misogynes de son peuple. Elle refuse obstinément de jouer le rôle qui lui est assigné par son frère-époux. « Je veux décider moi-même de ma vie », s’écrie-t-elle. « Pourquoi je suis une fille ? Je n’ai pas choisi de naître dans ce corps […] Les femmes sont-elles vraiment inférieures ? »

La pharaonne pose des questions très actuelles sur la place des femmes dans la société. Elle se demande ce qu’est la féminité : une parure, des vêtements, une coupe de cheveux, un rôle social à jouer ? Autant de questions que la véritable reine n’a guère dû se poser, au contraire de certaines jeunes femmes d’aujourd’hui.

À travers ces thèmes, Reine d’Égypte est susceptible de « parler » à un large public de notre époque. L’auteure s’attend à ce que beaucoup de lectrices s’identifient à Hatchepsout, la rebelle, tandis qu’un certain nombre de lecteurs seront sans doute fascinés par la femme puissante, aux tenues très sexy. Le message féministe est, en effet, associé à des scènes parfois torrides et orgiaques, montrant Thoutmosis II, en bon mâle dominant, profitant à loisir des charmes de ses sublimes concubines.

Chie Inudoh a aussi l’habileté de rendre progressivement son héroïne plus complexe ; ce qui permet à la narration de demeurer toujours très captivante. Après s’être opposée à Thoutmosis II de manière aussi frontale qu’inutile, elle en vient à préférer la ruse et même le crime, puisqu’elle finira par empoisonner son frère-époux. La pacifiste se transforme en tueuse, quand cela devient vraiment nécessaire pour elle. On croit reconnaître l’influence de Daenerys, mais en moins flamboyant tout de même !

Reine d’Égypte, une planche du tome 1, éditions ki-oon, 2017.
éditions Ki-oon

Le paradoxe du divertissement historique

Malgré ces anachronismes revendiqués par l’auteure, le manga n’en délivre pas moins des informations précises et variées sur l’Égypte pharaonique : culte des divinités, croyances funéraires, art et architecture, vie quotidienne… De la même manière, un peu paradoxale, les jeux vidéo « historiques » comme Assassin’s Creed, dont la fonction est avant tout ludique, peuvent également jouer un rôle pédagogique. On y retrouve d’ailleurs un même souci de « faire pop » pour s’adapter aux attentes de notre époque, bien que le sujet soit censé traiter du passé.




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Mais, alors que la civilisation de l’Égypte ancienne, pourtant si passionnante, n’occupe plus qu’une place limitée dans les programmes scolaires en France, on ne peut que remercier très chaleureusement Chie Inudoh d’avoir su mettre au goût du jour le nom d’une pharaonne morte il y a 3 500 ans. Et on se laisse volontiers emporter par le charme de cette Reine d’Égypte, pourtant si imparfaitement historique.

The Conversation

Christian-Georges Schwentzel ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son poste universitaire.

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Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons.
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